On pense souvent qu’improviser ne s’improvise pas. Pourtant les grands créateurs, musiciens, peintres, sculpteurs, n’ont eu de cesse de réinventer les codes de l’art, faisant entrer cette discipline dans une histoire. On peut à cet égard oser dire qu’il existe deux façons d’envisager l’art musical et que ces deux manières s’excluent mutuellement. À l’image de notre rapport au monde. L’une est héritée de l’aristocratie et de la bourgeoisie. La musique serait affaire de travail et, à force de gammes et d’abnégation, le pianiste ou le flûtiste maitriserait son art. Il passe par la théorie de la musique qu’il mettra en pratique. Il saura l’écrire, apprendra ses gammes et le solfège. L’approche classique nécessite une tenue. De la régularité dans les apprentissages, du travail. Et de la raison. Au sens de René Descartes. Une méthode rationnelle.

À contrario, on trouve les adeptes de la musique jazz, incluant le blues qui en est l’alpha, trouvant son origine dans les champs de cotons et résonnant aux chants des souffrances. Ici, l’art est issu du bas peuple. Ici, la musique se transmet dans les gênes. Elle s’improvise et ne s’écrit pas. Elle est aveugle, comme Ray Charles qui apprit le piano sans avoir besoin de ses yeux, réinventant ainsi l’approche de cet instrument passant d’abord par le toucher et le rythme. Quelques accords suffisent au blues, et les notes virevoltent sur l’instrument qui improvise en jazz jusqu’à faire crier le saxophone cherchant les limites de l’instrument sans qu’aucune partition puisse rendre compte d’un tel effet sonore. Le jazz met en avant l’improvisation, le dépassement de l’instrument. Il n’est pas associé au travail ni à la raison, il est d’abord libération. 

En littérature, deux mondes s’opposent aussi. La fin de la bourgeoisie s’écrit avec Marcel Proust qui passera sa vie entière à rechercher son temps perdu et le retrouver au moment de sa mort. Une vie consacrée à l’écriture. Sa recherche. À l’opposé, Sur la Route de Jack Kerouac a été écrit sur un rouleau de 120 pieds de longs telle une immense improvisation. Proust raturait et recommençait. Ses manuscrit sont parfois illisibles. Le pape de la Beat Generation se lançait à corps perdu dans une écriture sans anicroche telle une presse bien rôdée.

Nous pouvons également nous inspirer des églises. Negro spirituals, chants et sentiment de liberté contre austérité des cultes et chants catholiques ou protestants classiques. Afrique contre Occident. À nous d’adapter notre vie selon qu’on veut la vivre de façon classique, faite de labeur et de contraintes, ou selon un schéma plus jazzy, libre et émancipé. À chacun de choisir son camp.