L’être est et le non-être n’est pas, énonçait Parménide dans son célèbre Poème. Il faisait entrer l’ontologie, science de ce qui est, dans la permanence. Le fait que les choses soient, la facticité des choses, est de tout temps, et il n’est pas de néant, selon le philosophe grec. Son homologue Héraclite disait bien à l’inverse qu’ « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Une sentence bien connue désignant le changement perpétuel de toute chose glissant dans une continuité temporelle qui empêche toute permanence. 

Or le néant est un faux problème, comme le relevait Henri Bergson. Car le fait de lui attribuer une existence en le nommant le fait être. Autrement dit le néant ne peut pas ne pas être, car il est toujours déjà quelque chose. Mais il y a plus. Dans L’évolution créatrice, le philosophe français a pensé le temps en termes de durée donc de conscience du temps: « La durée est le progrès continu du passé qui ronge l’avenir et qui gonfle en avançant. » Car il est vrai que le temps que nous ressentons n’est pas pareil que nous nous ennuyions ou que nous soyions amoureux. Le temps passe plus ou moins vite. Nous sommes du temps et, continuellement, et sans rupture, la vie se déroule dans une comète temporelle articulée entre un présent qui sombre dans le passé à chaque seconde et un avenir qui mange sans cesse le présent et qui le fait advenir. Plus encore, il n’y aurait pas de passé sans mémoire présente. Et l’avenir n’existe pas. Pas encore. Il est potentialités, « à venir ». Et totalement imprévisible.

Le temps est une anguille pour qui cherche à en parler ou à le penser. Car, comme le dit Bergson, l’intelligence, à coups de concepts figés, noir, gris ou blanc, chaud, tiède ou froid, manque la totalité du réel qui dépasse de bien loin, dans son infinité, tous ces mots qui cherchent bien maladroitement à en rendre compte. L’intelligence spatialise. Le temps des horloges, celui d’Einstein, est un temps spatial. Fini. Arrêté. Mathématique. Celui des aiguilles sur un cadran. Une seconde dure une seconde, ni plus ni moins que celle qui la précède. Tandis que le temps vécu ne peut se penser autrement que dans une intuition, car il est infini et l’en-durance de la durée, continuellement en changement, nous empêche d’en dire quoi que ce soit, sinon à coup de métaphores : « La durée réelle est celle qui mord sur les choses et qui y laisse l’empreinte de sa dent. » La phrase « Jean est petit » n’est vraie que le temps que Jean ne grandira pas. Et qu’est-ce que la taille ou la jeunesse, sinon un rapport très relatif et de convenance entre des réalités qui arrangent notre intelligence qui a besoin de points de repères pour mesurer le monde. Jean est immense par rapport à une fourmi, plus petit qu’un géant, et immensément plus petit que l’univers.

Nous autres, êtres humains, sommes du temps. Et nous ne vivrons jamais que sur le mode du présent. Alors cessons de toujours parier sur l’avenir ou de cultiver la nostalgie et faisons de notre vie un présent en perpétuel devenir.

Pour aller plus loin :

Henri Bergson, L’évolution créatrice, Paris, PUF, 1907.

Parménide, Le Poème : fragments, Paris, PUF, Eptiméthée, 2009.

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La durée et le temps