Il était une fois la légende la plus célèbre de l’Antiquité. Un jeune garçon du nom d’Œdipe, nom signifiant « pieds enflés » (lui qui avait été attaché par les pieds pour être tué), fils de Laïos et de Jocaste, fut exposé dès sa naissance à une prophétie confiée à son père. Le garçon serait parricide et matricide. Ses parents décidèrent de le sacrifier, mais le petit d’homme en réchappa et fut recueilli par ceux qu’il croyait être ses vrais parents, Polybe et Méropé, à Corinthe.
Un beau jour, sachant sans doute que quelque chose ne tournait pas rond, il décida d’aller voir la Pythie de Delphes qui lui révéla son oracle : il tuerait son père et marierait sa mère. Sous le choc, le futur prince décida de s’en aller et, en tentant d’échapper à son destin, il réalisa la prophétie, et s’engouffra tout droit dans la gueule du loup. Arrivé devant Thèbes, son véritable père lui barra la route et son « hybris » légendaire, sa démesure, conduisit Œdipe à le tuer. Puis il délivra les Thébains de la Sphinge, animal monstrueux qui mangeait les habitants, en répondant à la fameuse énigme : « Sur terre il est un être à deux, quatre, trois pieds, et même voix toujours (…) Quand, pour hâter sa marche, il a le plus de pieds, c’est alors que son corps avance le moins vite. » C’est de l’homme qu’il s’agit ! Car il commence à marcher à quatre pattes, puis à deux, pour finir par se tenir sur un bâton. Libéré de la Sphinge, Œdipe est accueilli en héros et se verra offrir Jocaste, sa véritable mère désormais veuve, en guise d’épouse, et lui fera quatre enfants incestueux.
À la fin du XIXe siècle, un Viennois patriarcal du nom de Sigmund Freud utilisa ce mythe pour en faire un concept central de la théorie psychanalytique : la première topique. Le complexe d’Œdipe concerne tous les jeunes enfants âgés de 4 à 7 ans environ et désigne le désir inconscient d’entretenir un rapport sexuel avec le sexe opposé, une relation incestueuse. Œdipe pour les garçons s’est ensuite transformé en Électre chez les filles. Si une jeune fille aime son papa, elle voudra dormir avec, elle lui fera plein de bisous, lui dira « je t’aime » bien souvent et fera de sa mère une rivale à évincer du lit conjugual. Idem pour le petit bout d’homme…
Comment lutter, à supposer que cette théorie soit universelle, ce qui est très contestable ? Aux parents de mettre des barrières, rappeler aux petits Œdipe qu’ils peuvent aimer, mais que l’amour a ses degrés et ses limites à ne pas franchir. Ne pas céder et faire dormir les petits dans leurs lits quand on le peut. Ne pas briser les couples. Car les complexes sont tenaces et si l’Œdipe n’est pas résolu, disait Freud, il surgira dans le futur de l’adulte bon nombre de frustrations et de névroses. Les enfants doivent transférer leur amour pour leur parent à quelqu’un d’autre dès l’adolescence. C’est à ce prix qu’on évite bon nombre de séances onéreuses chez le psy…
Pour aller plus loin :
Sophocle, Œdipe Roi, le livre de Poche, LGF, 1994
Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Payot, 2001
Christian Godin et Gilles-Olivier Silvagny, La psychanalyse pour les nuls, First, 2012.